Plus de 150 condamnations sont tombées pour sanctionner les Gitans qui ont campé illégalement cet été. Le Canton de Vaud entend délivrer un signal clair: il y a saturation.
Flavienne Wahli Di Matteo / 24heures
Tolérance zéro. C’est désormais le credo vaudois face aux campements illégaux de gens du voyage qui se sont déplacés tout l’été à travers le canton. La rentrée a à peine sonné que les ordonnances de condamnations se mettent à tomber comme des fruits mûrs dans les bureaux du Ministère public. Ce mercredi, ce dernier annonçait avoir sanctionné pas moins de 73 Gitans d’un coup en fin de semaine dernière, pour avoir refusé de quitter un terrain occupé illégalement à Avenches.
Chacun des contrevenants devra s’acquitter de 500 francs d’amende et de 200 francs de frais de justice. Le couperet est tombé sur le mode «ordonnance pénale immédiate»: les condamnations ont été notifiées au lendemain de la prise d’identité effectuée sur place par 35 gendarmes.
Les effets ne se sont pas fait attendre. Ceux qui s’opposaient à leur départ depuis le 10.juillet et qui avaient actionné les voies de recours judiciaires, menaçant d’aller jusqu’au Tribunal fédéral (avant de rétropédaler), ont finalement plié bagage… pour Lucens. Leur faute? Une «insoumission à une décision de l’autorité», en l’occurrence celle de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal (CDAP) qui avait confirmé une décision d’expulsion.
Pluie de sentences
Cette pluie de sentences n’est pas isolée (lire l’encadré). Pour avoir squatté deux jours sur un parking de l’entreprise Orllati à Bussigny, une cinquantaine de Gitans venus de France s’est ainsi vu sanctionnée d’amendes de 300 francs et de frais pour 200 francs, des peines pécuniaires de 900 francs étant aussi prononcées avec sursis.
Pour s’être invités sur un parking en bordure de la fan zone de Salavaux, à Vully-les-Lacs le 11.juin dernier, les propriétaires de 35 caravanes devront aussi passer à la caisse pour 400 francs d’amende complétés de 200 francs de frais de justice, alors que 40 jours-amende à 50 francs avec sursis pendent au nez des éventuels récidivistes.
Saturation
Si ce n’est pas la première fois que les errances des gens du voyage défrayent la chronique, il est inédit que la justice vaudoise intervienne avec une telle vigueur. Et ce n’est pas un hasard, nous confirme Laurent Curchod, délégué coordinateur et médiateur pour les gens du voyage: «Il y a une systématique. Chaque fois que nous constatons des comportements illicites, il y a dénonciation. C'est l’une des mesures de l'État pour faire face à la saturation de notre capacité d'accueil.»
Fraîchement installé dans sa fonction, le fonctionnaire avait déjà lâché le mot plus tôt dans la saison: «saturation». Avec l’après-Covid, le canton de Vaud connaît une affluence record de communautés venant essentiellement du nord de la France. Depuis trois ans, il faut gérer un flux mouvant de 170 à 200 caravanes, alors qu’une seule place officielle, à Rennaz, dispose de 42 stationnements.
Un attrait que les autorités attribuent au potentiel économique d’un territoire de 850’000 habitants, bassin de clientèle intéressant pour les entreprises de travaux de ces familles nomades. Plus cyniques, certains élus locaux estiment qu’une trop grande permissivité des autorités est aussi en cause, expliquant pourquoi d’autres cantons ne subiraient pas la même pression.
Serrage de vis
Mais qu’est-ce qui a changé pour que Vaud serre la vis cet été? «L’an dernier, Lausanne avait accueilli un très grand nombre de caravanes et, en 2022, Bussigny avait notamment dû en gérer plusieurs dizaines avec des incivilités à répétition. Cette année, comme les places y ont été restreintes pour 30 à 35 caravanes en moyenne, les gens du voyage se sont beaucoup plus déplacés.» À la clé, une multiplication des campements dans de petites collectivités qui n’y étaient pas préparées.
À Vully-les-Lacs, le syndic, Michel Verdon, raconte: «Pour nous, comme pour la plupart des collègues, c'était une première qu'un beau soir une quarantaine de caravanes envahissent un terrain communal. On était un peu démunis. Le campement était installé sur un parking à proximité de la fan zone de l’Eurofoot qui allait ouvrir le vendredi. On était mardi, on s'est dit qu'on ne pouvait pas laisser jusqu'à 1000 personnes venir dans ces conditions. Il a fallu trouver une solution rapidement. On nous a conseillé de déposer une plainte pour l'occupation illégale. Ça, ç’a été facile à faire. Le plus difficile a été de trouver un autre emplacement, car on ne voulait pas entrer en confrontation. Nous avons finalement trouvé un terrain communal et un agriculteur qui était d'accord, sacrifiant sa récolte de foin contre une belle incitation financière.»
Après trois semaines et demie de cet arrangement, l’élu dresse un bilan soulagé: «À la fin, Monsieur le conseiller d’État Vassilis Venizelos m'a téléphoné pour me remercier, me féliciter, ou les deux. Mais moi, j'aimerais quand même qu'on ne compte pas sur les petites communes agricoles pour trouver des solutions à un problème cantonal, voire plus large encore.»
Effet dissuasif
À Avenches, le syndic, Gaetan Aeby, forme le même vœu. Sa commune a dû consacrer beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à l’accueil des nomades, hébergeant simultanément deux campements, l’un pour lequel un accord a pu être conclu, un second installé dans l’illégalité. Celui-là même qui s’est finalement replié après les condamnations de la semaine dernière.
«Une fois la procédure enclenchée, les choses se sont faites rapidement du point de vue de la justice. Mais pour nous, sur le terrain, c’était long, analyse Gaetan Aeby. Ce qui pose problème, c’est que ces personnes jouent la montre en utilisant les bases juridiques. Cette répression qui se met en place ne me semble pas un serrage de vis: c’est juste normal!»
«On est satisfaits de ces condamnations car, quelque part, il y a une forme de jalousie – légitime – de nos administrés envers ces personnes qui ne se soumettent pas aux mêmes contraintes que nous, relève encore Michel Verdon. Il y avait un sentiment d'inégalité de traitement pour des gens qui ont un mode de vie professionnel traditionnel, avec toutes les contraintes légales et financières que cela sous-entend.»
Tirer les leçons de l’été
Pour Christian Weiler, municipal de la Sécurité à Yverdon, il va falloir tirer les enseignements de cet été à rebondissements. La cité thermale a dû mener plusieurs bras de fer avec les communautés itinérantes au fil de la saison. «Ce qui m’énerve, c’est qu’on déploie une énergie de fou à chaque nouveau campement. Mais ça ne me satisfait pas de mettre des gens dehors pour qu’ils aillent ensuite poser les mêmes difficultés à Avenches! Le conseiller d’État fait son job, les procureurs sont venus sur place, mais je crois que cette fois il va falloir monter une task force communes-Canton-Confédération, dézoner des terrains pour créer des places d’accueil et répartir la charge. Les communes qui jouent le jeu ne doivent plus être pénalisées. Cela induit des coûts importants à chaque fois, mobilise la police alors qu’elle pourrait être utile ailleurs. Il faut tenir compte de tous les effets.»
Mesures attendues
Ces condamnations ne sont qu’un premier jalon dans une politique plus large, et Laurent Curchod veut croire en leur rôle dissuasif: «Même si j'ai pu constater que les gens du voyage sont peu sensibles à notre cadre normatif, je pense que les sanctions pénales auront un effet. On donne un signal clair qu'on ne peut pas faire ce qu'on veut, où on veut.»
Contacté, le Département vaudois de la sécurité patronné par Vassilis Venizelos annonce qu’un bilan de cette saison sera dressé en fin d’année: «Ce sera l’occasion d’identifier les mesures supplémentaires qui pourraient être prises pour améliorer le dispositif existant.» «Mais il y a des choses sur lesquelles nous n’aurons pas de prise, avertit Laurent Curchod. La libre circulation des personnes existe et les gens du voyage ont le droit de venir travailler chez nous. Quand on vient me dire que l’on devrait les arrêter à la frontière, je rappelle qu’il n’existe pas de passeport gitan. Ces personnes sont issues de l’Union européenne, françaises pour la très grande majorité.»